Alzheimer et les 5 sens... + 1
par Stéphanie Petit
Le regard
Un simple regard donne parfois l’impression de percevoir un peu de l’âme de celle ou celui qui le porte. Une impression à tort ou à raison, ajustée sur la palette des sentiments et des caractères que nous connaissons.
Le regard d’une personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée à un stade avancé, ne s’ajuste pas selon nos codes habituels. Il est différent, perdu. Dans le vide, le lointain, le passé, la lassitude ou que sais-je encore. Il n’est pas «inexpressif» au sens propre du terme, puisqu’il exprime tout cela à la fois. Il rend compte d’une posture à part entière, et se fond dans un visage tout aussi figé.
Un visage dont les traits pourtant familiers, peuvent sembler méconnaissables, l’espace d’un instant. L’espace de temps nécessaire pour essayer de capter à nouveau ce regard, de lui planter nos yeux dans les yeux, de lui sourire, lui signifier qu’on est bien là, et qu’il peut encore sourire lui aussi. Parce qu’il le peut, longtemps encore, mais qu’il faut parfois lui en rappeler le chemin. Alors réapparaît cette lueur, cet éclat qui change tout et redonne vie à part entière, à un regard, puis à un visage tout entier.
Un éclat porteur de tant d’espoirs.
Les mains
Bien sûr dans les bons jours, il y a tous les gestes tendres donnés et reçus. Des mains juste posées ou solidement amarrées. Des tapotements, des caresses. Des mains qui se donnent. Dans les moments plus difficiles, il y a des mains qui rejettent et s’opposent. Le toucher peut être perçu comme une véritable agression.
Et puis il y a toutes ces petites manies, ces linges pliés et lissés, les paumes posées bien à plat, bord à bord, puis régulièrement écartées et rapprochées dans un geste appliqué et répétitif.
Il y a le manger-doigts précieux pour préserver la liberté de savourer encore, parfois mal compris.
Des mains au secours des mots manquants, et au-delà des gestes simples, qui ne le sont plus. Des mains comme un ancrage dans une réalité qui échappe. Des mains à l’image du regard, inoubliables.
Juste quelques notes 🎵
«Comme par magie», alors qu’on peut ne plus savoir qui est le président de la république, l’année, l’heure ou le lieu, reconnaître les premières notes d’une mélodie reste longtemps un jeu d’enfant. Non seulement les reconnaître, mais aussi les fredonner, en retrouver les paroles, le sourire et l’espace d’un instant, une certaine joie de vivre.
Même quand l’ouïe n’est plus ce qu’elle était, le son et l’intonation d’une voix restent des repères étonnamment préservés, comme autant d’alliés dans cette course contre l’oubli.
Il y a même parfois, cette petite musique silencieuse, celle qui n’est que dans la tête, trahie par des mains qui battent la mesure en rythme, entre elles ou sur ce qu’elles trouvent. La musique comme un plaisir solitaire, un voyage intérieur et une immersion dans un autre monde. Peu importe, puisqu’elle semble encore et toujours faire du bien...
Alors ...Musique Maestro !
Plus qu’une histoire de goûts
Oublier une chose, puis une autre, jusqu’à oublier de manger. L’un des trois repas, puis deux, puis les trois.
Parce que manger et redonner l’envie de manger peut être un plaisir, mais aussi un challenge et même un calvaire. Il faut souvent jongler avec ce qu’on connaît des habitudes, des goûts d’avant et des goûts nouveaux.
Respecter, oser les trucs et astuces, diminuer les proportions, mettre de côté et re-proposer, jouer la patience, la douceur, le sucré, le salé, la simplicité et les textures. Compter sur le manger-doigts et son imagination, dans une souplesse diététique de haute voltige, au-delà des fameux facteurs de risque et des régimes en cours.
S’adapter encore et toujours, entre pêchers mignons et repas équilibrés, pour satisfaire un besoin vital, mais aussi le plaisir social de partager et de manger ensemble, le droit de ne pas avoir faim à heure fixe, celui de se régaler, et pourquoi pas d’en redemander encore...
Le loto des senteurs
Même si l’on y est plus ou moins sensible, une odeur est loin d’être anodine. Les bonnes et mauvaises senteurs nous réjouissent ou nous dérangent. Elles peuvent même, telle la fameuse madeleine, faire resurgir des souvenirs anciens, plus ou moins enfouis.
Il y a ce à quoi nous n’étions pas préparés et ces circonstances de vie nous amenant à ne plus reconnaître l’odeur d’un être proche. Lui pourtant si propre, croit s’être déjà lavé ou oublie de le faire, comme il oublie tant d’autres choses. Un jour, il peut même ne plus savoir le faire. Il y a ces besoins naturels et ces odeurs face auxquels il faut parfois savoir attendre, le moment n’étant pas le bon pour y remédier, sans qu’il s’agisse d’une négligence.
Et puis il y a toutes ces odeurs qui viennent à notre secours, comme autant d’occasions d’entamer une discussion et d’évoquer des souvenirs. Il y a ces arômes ludiques permettant de voyager à la campagne ou dans la cuisine, tout en restant assis autour d’une table. Des odeurs au service d’une mémoire capricieuse qui pourtant, pourrait bien encore nous surprendre.
Le 6e sens
Cinq (5) sens mis à mal, mais aussi porteurs de réconfort, auxquels on s’accroche comme autant de moyens de partages et de communication. Parce qu’un regard et un geste tendre peuvent faire passer plus de messages que de longs discours.
Cinq (5) sens auxquels s’ajoute un 6e, officieux, intuitif et non palpable, donnant du sens à tous les autres, permettant, sans même le calculer, de se mettre à la place, de respecter, de faire comme on aurait aimé qu’on face pour nous-même. Un sens attentionné, utilisant tous les autres avec bienveillance, sans rien attendre en retour que ce qui peut être offert, ici et maintenant. Une posture, un regard, un mot, une écoute, un geste ou juste le silence. N’est ce pas un peu tout cela à la fois, ce drôle de sens nommé Empathie?
Stéphanie Petit est l'auteure du livre Un amour sans mémoire, publié par Mon Petit Éditeur.
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